quarta-feira, 18 de setembro de 2013

Exposição na galeria Here Comes Everybody - Paris, Saint Denis. Um texto bonito de Georges Quidet. Expo à la galerie Here Comes Everybody, St-Denis, Paris, un très beau texte de Georges Quidet

Petit guide pour ce voyage en quatre étapes 

Au pays des crocodiles… 

Ces formes joueuses, ce sabbat des couleurs, cette pulsation des points, ces surprises stupéfiantes, cette orgie, sont autant d’aspects liturgiques pour célébrer et séduire, apprivoiser cette croque-mitaine de choc qu’est la femme–croco. Couchée sur le divan du psychanalyste avec sa débauche de dents acérées, sa gueule s’ouvre comme un gouffre sur l’essence du monde, le règne de la castration, de la dévoration, de la voracité et tous les fantasmes liés aux monstres dévorants qui nous habitent, qui se jouent de nous quand nous pensons nous jouer d’eux… 
Mais le spectacle éblouit : le jeu engagé est enjoué, ce monde visuel qui naît de la rencontre de l’homme et du crocodile est d’une liberté absolue : l’artiste recrée de toutes pièces ce monde de l’entre-dévoration par les seules vertus du geste plastique, du trait et de la couleur plongée au cœur de la fragilité… 

En donnant à ses embarcations et leurs passagers des couleurs très vives qui tranchent sur des fonds artificiels, invraisemblables de jaunes, de verts, de bleus, de noirs qui ne font que souligner l’épaisseur du vide, le flux immobile, le temps arrêté, l’espace sans repères ? Avec un jeu de couleurs qui a tendance à s’épuiser : les couleurs différencient les personnages, les serrent et les intriquent les uns dans les autres avec leurs expressions d’épouvante, mais en certains endroits du tableau elles se salissent, déteignent, coulent sans qu’aucune ligne ne puisse contenir l’anéantissement de leur pouvoir ? Avec un espace littéralement disloqué qui perd son sens d’espace et le pouvoir que donne l’espace de situer, de repérer, de donner des perspectives…Les embarcations sont non seulement tronquées, mais elles n’avancent plus, elles plongent dans le vide … semblent suspendues par leur mat au dessus de l’abîme, quand elles ne planent pas en l’air ? Devant ces harragas, une chose est sûre, le vertige est garanti : on cherche par ce genre de questions à retrouver les cadres de la perception qui ont vacillé, mais rien n’épuise le malaise et la réussite de ce traitement pictural de la précarité humaine. 

La peine de mort: La mort et le soleil ne se regardent pas en face… 
Ces œuvres en série répètent l’horreur à chaque fois, avec des formes, des couleurs et des fonds différents sans pouvoir épuiser l’infini de l’horreur. L’instrument qui anéantit une vie est lui toujours le même, un objet dérisoire en lui-même, gris et terne qui impose au visage une horrible grimace pour y détruire tout ce qu’il y a de plus précieux : le regard, l’écoute, la pensée, la parole… Des images choc, insoutenables comme peuvent l’être dans le monde toutes les formes de bâillonnement de la parole. Icare, ou le retour à la jeunesse mythe.

La Légende fait d’Icare l’image du présomptueux, de celui qui s’empêtre dans son ingéniosité, qui se brûle les ailes à vouloir monter trop haut. 
João retient plutôt du mythe le désir de se donner des ailes. Icare n’a pas des ailes de cire, il a des ailes fabriquées avec toutes les couleurs et les motifs, les savoir- faire décoratifs dont les peuples sur notre terre se sont emparés pour rehausser leur quotidien. 
Nous terminons ce voyage avec cet être ailé, cet être qui est une aile plus qu’il a des ailes parce que João signe là son manifeste artistique : de la couleur, toujours de la couleur, parce qu’il en faut pour s’élever, pour vivre, pour apprivoiser l’horreur que nous connaissons tous, mais que nous ne voulons pas voir. 

Sans doute João n’a-t-il jamais voulu donner de leçon et n’aimerait pas ce mot de manifeste et cette mélancolie du voyageur. 

Il faut bien pourtant quitter cette exposition avec une note de gaieté, parce que l’artiste nous a ici livré son « gai savoir » : cette note, nous la trouvons chez Platon dans le commentaire qu’il fait de « l’amour donne des ailes ».

Cet Icare n’est pas Eros, mais dans toutes ces variantes on retrouve la gamme d’émotions de celui qui, tel l’Icare de João se sent pousser des ailes ! 

« En cet état l’âme tout entière bouillonne et se soulève ; elle éprouve le même malaise que ceux qui font des dents : la croissance des dents provoque des démangeaisons et une irritation de gencives ; c’est ce qui arrive à l’âme dont les ailes commencent à pousser : la pousse des ailes provoque une effervescence, un agacement , des démangeaisons du même genre…

Cet étrange mélange de douleur et de joie la tourmente et, dans sa perplexité, elle s’enrage et sa frénésie l’empêche de dormir la nuit et de rester en place pendant le jour. Aussi elle court avidement du côté où elle pense voir celui qui possède la beauté… » (Phèdre, 251c). 

Merci João de nous avoir à ce point « transportés ».

HCE (Here comes Everybody) 18 Septembre 2013 
Georges Quidet

1 comentário:

  1. La peinture nous enlève hors des charniers et nous élève...

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